Shell annonce une reduction de ses investissements
Le nouveau patron de Royal Dutch Shell, Ben van Beurden, aurait souhaité une entrée en scène plus brillante. Mais depuis son avertissement sur résultats du 17 janvier – le premier en dix ans –, on savait que les résultats 2013 de la compagnie pétrolière anglo-néerlandaise seraient mauvais. Elle a annoncé, jeudi 30 janvier, une chute de 39% de son bénéfice net, à 16,4 milliards de dollars (12 milliards d’euros), en raison de difficultés dans le raffinage, de ruptures de production au Nigeria et de mauvais résultats aux Etats-Unis, où elle a englouti la moitié de ses investissements.
BAISSE DES INVESTISSEMENTS
Pour le seul quatrième trimestre 2013, le bénéfice s’est effondré de 74 %, à 1,8 milliard de dollars. Pour redresser la barre, le successeur de Peter Voser à la tête de la première major pétrolière européenne s’est engagé à céder pour 15 milliards de dollars d’actifs dans les deux prochaines années et à ramener ses investissements de 46 milliards de dollars en 2013 à 37 milliards dès cette année, dont 2 milliards d’acquisitions déjà annoncées.
« Notre rythme a ralenti en 2013. Nous devons améliorer nos résultats financiers, a-t-il souligné. Notre stratégie globale reste solide, mais 2014 sera l’année où nous mettrons l’accent sur l’amélioration de nos retours sur investissement et de la performance en terme de cash flow [flux de trésorerie]. » Un discours que les marchés attendent, alors que la rentabilité du groupe n’a jamais été aussi basse depuis 2009.
Selon les analystes, Shell a deux ans devant lui pour générer les 60 % des 200 milliards de dollars de liquidités qu’il s’est engagé à générer pour 2012-2015, afin de financer ses investissements (130 milliards sur cette période) et de rémunérerses actionnaires. Il doit redresser un indicateur important dans l’industriepétrolière, le retour sur capital investi : il était stable (environ 20 %) dans la deuxième moitié des années 2000, il est tombé à 9 %, selon un analyste de Morgan Stanley cité par le Financial Times.
AMÉLIORER L’EFFICACITÉ CAPITALISTIQUE
M. van Beurden a reconnu qu’il allait devoir « faire des choix difficiles au sein du portefeuille mondial afin d’améliorer l’efficacité capitalistique de Shell ». Il n’a d’ailleurs pas attendu la publication de ces comptes pour lancer son programme de cessions.
Depuis un mois, il a annoncé des ventes d’actifs pour un total de 2,1 milliards de dollars dans le gaz naturel liquéfié (GNL) en Australie et un gisement au large des côtes du Brésil. Ce sont des Koweitiens et des Qataris aux «poches profondes» qui les ont rachetés.
Fin 2013, Shell avait déjà renoncé à la construction d’une usine de liquéfaction de gaz aux Etats-Unis d’un coût de 20 milliards. La major pourrait aussi sortir de l’australien Woodside Petroleum, sa part de 23% étant valorisée 7 milliards. Il n’a jamais pu en prendre le contrôle et a déjà vendu une participation en 2010. On lui prête aussi l’intention de se désengager plus fortement du secteur du raffinage.
PROJETS COLOSSAUX
Shell est connu pour ses projets colossaux. Une démesure symbolisée par les 600 000 tonnes et les 468 mètres de long de la plateforme géante off shore de liquéfaction de gaz au large de l’Australie en cours de construction par SamsungHeavy Industries et le français Technip.
Mais la performance opérationnelle de ces projets n’est pas à la hauteur des sommes engagées. Et devant les obstacles réglementaires aux Etats-Unis, il a décidé qu’il ne ferait pas de forages d’exploration en Alaska en 2014.
A l’origine, il devait les commencer en 2010, mais son programme avait été gelé après la marée noire de 2010 dans le golfe du Mexique. Depuis, les mouvements écologistes multiplient les pressions pour empêcher une extension de l’exploitation des hydrocarbures de l’Alaska et de l’Arctique.
DISCIPLINE FINANCIÈRE
Mais ces analystes ne sont pas seulement inquiets sur les performances financières de Shell. Tous les pétroliers sont contraints d’investir toujours plus dans des activités difficiles (sables bitumineux, huiles lourdes, offshore ultra-profond, GNL…) et dans des pays à risque (Nigeria, Libye…), mais pour trouverbeaucoup moins de pétrole que dans les décennies 1930-1960, où furent découverts les gisements géants.
Leurs « capex » ont très fortement augmenté depuis le milieu des années 2000. Pour les sociétés côtées (S&P global 1 200), ils sont passés de 130 milliards en 2005 à plus de 450 milliards en 2012. On se félicite aujourd’hui de la découverte d’un gisement de 1 milliard de barils de pétrole… qui ne représentent que douze jours de consommation mondiale !
Certes, depuis quelque temps, les majors privées ont davantage les faveurs des marchés d’actions que les compagnies nationales comme PetroChina, Petrobras, Gazprom ou Rosneft, notent les experts du cabinet américains IHS dans une étude publiée lundi 27 janvier. En 2013, leur valorisation globale a grimpé de 9 % alors que celle des compagnies contrôlées par les Etats, qui ont pourtant un meilleur accès aux ressources pétrolières et gazières, baissait de 15 %. Les marchés se demandent où est la priorité de ces sociétés d’Etat pourtant cotées : les intérêts politiques des gouvernants ou la rémunération des actionnaires ?
Mais face à l’envolée des investissements des majors, les analystes se disent aussi que leurs dirigeants sont allés trop loin dans les investissements. A Shell comme à ExxonMobil, BP, Total, ENI, Statoil ou Chevron, les investisseurs et les marchés réclament désormais davantage de discipline financière. M. van Beurden a reçu le message cinq sur cinq. Total avait déjà annoncé, mi-2013, que ses « capex » (22 milliards dev dollars) en 2013 avait atteint « un pic » et qu’ils seraient inférieurs en 2014. Son PDG, Christophe de Margerie, devrait le confirmer le 12 février, lors de la présentation des comptes 2013.
Fonte: lemonde.fr